L’interview Floue. Rencontre (inventée) avec la Lambda
L’interview Floue. Rencontre (inventée) avec la Lambda
C’est un peu la star du laboratoire. Impossible de passer à côté de lui sans le remarquer. Grâce à lui, ce sont des centaines de tirages qui sont réalisés chaque jour. En surface, il reste celui qui représente plus de 50% du volume de production de tirages de notre laboratoire. Nous avons souhaité rencontrer l’un des éléments les plus stakhanovistes de l’histoire de Picto : l’imageur Lambda. Notre rendez-vous a été maintes fois reporté. Il faut reconnaître que sa charge de travail titanesque ne lui laisse que peu de temps pour faire une pause.
C’est pourquoi il nous a donné rendez-vous un mardi à 05h du matin, peu avant de prendre son service.
Bonjour. Première question, comment doit-on vous appeler?
Mon vrai nom est imageur Lambda 130 by Durst. Mais on m’a donné un petit sobriquet ici qui est, je vous le donne en mille Emile: Lambda 1... Ils ne se sont pas cassés…
Lambda 1? Il y a un lambda 2?
Rien ne vous échappe… Effectivement, j’ai un frère à côté de moi. J’avais également d’autres frangins mais ils se sont émancipées il y a quelques années. Je préfère ne pas en parler, ca me rend triste…
Je comprends. Depuis quand travaillez-vous ici ?
Nous avons rejoint Picto dès 1995. Cela va donc bientôt faire 25 ans. Le temps passe comme des voitures…
Donc vous faites partie des fondations.
Vous ne croyez pas si bien dire. D’autant plus qu’on s’est baladé. Au début on était réparties tous les quatre dans les centres de production de Picto à Front de Seine, Montparnasse, La Défense et Picto. Car nous étions quatre au début (NDLR: il verse une larme de procédé chimique qu’il s’essuie instantanément avec une feuille de RC satiné).
...
Excusez-moi (NDLR: il se mouche à nouveau dans du papier Translucent).
Donc à l’époque il n’était pas difficile de trouver un emploi, chacun voyait en nous le futur du tirage photographique. Le numérique en était alors à ses balbutiements mais commençait malgré tout à effrayer le secteur traditionnel du tirage. Nous représentions la parfaite équation entre la tradition et le modernisme, nous avons su rassurer le marché. On était un peu des stars...
Je comprends. On ne va pas insister sur ce sujet qui est manifestement difficile à évoquer pour vous.
Je suis un peu sensible mais il faut dire que nous avons une cadence très soutenue. Alors c’est pas toujours évident de ne pas péter un petit faisceau laser de temps en temps. Mais c’est bon, ca y est, je suis à vous.
Tant mieux. De ce qu’on peut dire de vous, c’est que vous êtes le tireur le plus efficace de Paris !
Trop d’honneur. Mais c’est 100% vrai. Je suis un gros besogneux. Je sais bien que ce n’est pas la taille qui compte mais quand même...Et puis j’ai le souci du détail et je ne laisse rien au hasard. Je ne supporte pas le travail bâclé. J’ai ouïe-dire que certains confrères produisent des choses ni faites ni à faire. C’est pas le genre de la maison!
Pourriez-vous nous raconter votre quotidien?
Comme vous pouvez le voir, on commence très tôt ici.
Une bande de petits jeunes viennent me chatouiller la carcasse dès potron minet. Je les aime bien ces petits gars. Ils m’aident à m’entretenir en me faisant faire une gamme de linéarisation pour vérifier que mes valeurs de densité sont bonnes. Si ce n’est pas le cas, je dois rapidement les corriger. Je n’ai pas le droit à l’erreur et ils me mettent une sacré pression. Mais il faut bien cela pour rester au top.
C’est important pour vous de rester au top.
Bien sûr. Je ne travaille qu’avec les meilleurs. C’est une question de principe. Donc je m’impose une discipline de fer. Mais j’ai quand même des petits moment de plaisir. Tous les lundis matins, toute l’équipe effectue mon entretien. Ca permet de commencer la semaine en douceur. Il s'affairent tous autour de moi pour préparer mes bains… Ils me chouchoutent et me traitent comme un roi. Je dois avouer que j’aime bien ça !
J’imagine que la vie n’est pas toujours aussi douce...
Effectivement, le reste de la journée, ce n’est plus la même.
Je travaille de 7h à 21h sans pause. Je développe, fixe, lave et sèche à la chaîne des centaines et des centaines de tirages. Je ne suis pas peu fier de me vanter de représenter 50% du volume de production du laboratoire et que j’assume à moi seul, 20m2 de tirage toutes les heures ! On me dit que j’ai de la chance, car je dois voir de belles photo à longueur de journée, mais ce que les gens ignorent c’est que je travaille dans le noir !
Vous êtes donc un travailleur de l’ombre, ah ah ah!
(Silence)
Pardon...
Vous avez mangé un clown.
Cela dit, il y a une part de vérité. Peu me connaissent et savent ce que je fais ici. Pourtant, j’offre du rêve à beaucoup de gens mais personne ne le sait. C’est comme ca. Je me console en me disant que j’ai de la chance d’avoir un cousin lointain qui fait du cinéma. Il m’a envoyé une photo de lui il n’y a pas longtemps. La voici.
Je ne comprends pas toujours tout ce qu’il dit mais il est sympathique. C’est son côté rondouillard qui joue pour lui je pense.
Y a t-il des périodes où le travail est plus intense ?
Je dirais que le quotidien est intense, en permanence. J’ai la chance, et je ne vais pas m’en plaindre, que les gens estiment mon travail… Mais oui, forcément il y a des périodes comme la fin d’année, où ça n’arrête jamais et les journées se rallongent… Je peux vous dire qu’à ce moment là, je travaille comme un forçat.
Vous n’auriez pas envie de passer au tout numérique ?
Ah non ! Je préfère laisser ça à mes collègues Epson et HP. Je reste attaché à l’argentique. J’ai baigné dans le révélateur depuis que je suis petit, je n’imagine pas quitter le labo un jour pour faire autre chose… C’est “ma vie mon oeuvre”.
Je m’arrêterai le jour où plus aucun papier photo ne sera fabriqué.
Quelle relation entretenez-vous avez les photographes ?
C’est une relation amicale bien qu’un peu distante. Et imaginez qu’en 25 ans et avec des milliers de clients. Pas un seul photographe m’a un jour invité à son vernissage. Pourtant si leur exposition existe c’est un peu grâce à moi, ne croyez-vous pas ? Tout ça parce qu’il faut un camion pour me déplacer.
A mes amis photographes : quand on veut, on peut!
Je vois que cela s’affaire autour de vous. Ma dernière question: Quel est le plus beau souvenir que vous gardez de vos années chez Picto?
Je n’ai pas un souvenir en particulier. C’est un tout. Même si je me plains de temps à autre, je me sens bien ici. je suis entourée de passionnés qui exercent leur métier dans les règles de l’art et qui ne pensent qu’à une seule chose : faire plaisir aux clients. Ce n’est pas donné à tout le monde de travailler ainsi.
Bon allez, la sortie c’est par là bas. J’ai du boulot!
Interview réalisée “presque sans trucages” ;)
Photo: © Marine Ferrante
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